«Erika, mon amour», là où tout commence.

 

On me demande parfois pourquoi je suis discrète sur les voeux de fin d'année. On me demande aussi souvent d'où me vient l'énergie d'agir pour les causes environnementales. Les deux sujets prennent leur source au même moment, au même endroit. Celui du passage du millénaire. 

Je suis née en 1975 à Lorient, en Bretagne. Ailleurs, au même instant, au Japon précisément, on mettait à l’eau un pétrolier.

Gamine, le thème de l’an 2000 était un des puissants moteurs de mon imaginaire d’écolière. Avec les copains, on tenait pour acquis que les voitures voleraient et qu’on mangerait des pilules, ce qui nous laisserait beaucoup plus de temps pour jouer (chic!). On était fier.es et honoré.es de savoir qu’on serait un jour les témoins d’un changement de millénaire.

L’été, on passait nos journées sur la plage et nous avions deux consignes pour rentrer à la maison : fotter le sable de nos pieds et utiliser l’eau écarlate (un solvant puissant) pour enlever les taches de goudron. Ça faisait partie de notre quotidien. J’ai compris plus tard qu’il s’agissait de l’empreinte de l’Amoco Cadiz.

Autour de nous, d'une été à l'autre et même si nous n’y prêtions pas vraiment attention, le paysage de bocage vivait un remembrement intensif au profit de l’agriculture industrielle. Nos parents avaient une grande foi dans le progrès, dans les avancées de la science. Nés après-guerre et issus de familles paysannes, ils avaient appris un métier, étaient venus vivre en ville, vivaient la croissance économique comme un aboutissement. Ils étaient heureux de nous offrir une vie qu’ils espéraient meilleure que la leur, car le progrès se concevait comme une courbe infiniment ascendante.

Pendant les cours de géographie, on nous expliquait que nous serions aussi les témoins et les acteurs d’un extraordinaire avènement: l’Europe! J’ai gardé le drapeau que nous avions fait en cours de dessin. Il comportait 6 étoiles.
Le week-end et les vacances scolaires, je les passais souvent chez ma grand-mère. On jouait dans son verger. J’y ai appris qu’un prunier peut produire plus de fruits que je ne pouvais en imaginer.

J’avais 25 ans en l’an 2000. Je vivais à Zürich. Ce n’était pas une période facile et je me réjouissais de rentrer en Bretagne pour les fêtes, pour célébrer l’an 2000 qu’on attendait depuis si longtemps. 

Je me souviens que les informaticiens prédisaient des catastrophes électroniques, le «bug de l’an 2000». Mais c’était une catastrophe écologique qui nous attendait. Le 12 décembre, après avoir changé 8 fois de nom, un pétrolier de mon âge, dont on se souviendra comme d’Erika, venait de s’échouer au large des côtes bretonnes. Je suis arrivée sur place pour les fêtes de Noël, au moment où les nappes de pétrole accostaient.

La météo mâchouillait une colère sourde, crachant aux vents, hurlant sa rage. Quand ça s’est calmé, sur la plage, il n’est resté que l’épaisseur du silence. Les oiseaux, englués, s’étaient tus. Pas un cri, pas un bruit.
La télé passait des témoignages de vieux qui chialaient. On n’avait jamais vu ça, des vieux qui chialent. Les Bretons c’est digne. Ça picole, ça se bagarre, mais ça ne chiale pas.

Le champagne du réveillon a eu un goût amer. Des copains s’étaient regroupés dans un atelier pour essayer tant bien que mal de nettoyer quelques oiseaux pas trop englués. Ils avaient des contacts avec des ornithologues belges pour les réintégrer sur une autre côte. On y allait à la brosse à dents. On en a sauvé quelques-uns. Plus de 150 000 oiseaux sont morts. Erika est devenue un des symboles des dysfonctionnements de la mondialisation. Plus de 10 000 tonnes de fioul ont été déversées sur 400 km de côtes. Les opérations de nettoyage se sont succédées pendant toute l’année.

Aujourd'hui, J’ai 46 ans, je vis en Suisse francophone. Je suis entrepreneure c’est-à-dire que je crée de la valeur. Je vois qu’au final c’est l’économie qui mène le monde, même si cela n’a, à mes yeux, aucun sens. J’aime les gens. Je regarde ceux qui osent changer le monde autour d’eux, «leur monde», avec beaucoup d’admiration. 

Quelques années plus tard, les oiseaux étaient revenus, les milliers de mains qui avaient contribué à démazouter les côtes ont été plus efficaces que les interminables procédures judiciaires (qui ont néanmoins fait jurisprudence en reconnaissant un «dommage à la nature»).

L'entreprise Total a payé une somme symbolique au regard du préjudice réel. Les ostréiculteurs et les acteurs du tourisme qui ont été victimes des conséquences économiques de la marée noire se sont remis ou ont changé d’activité. Des ingénieurs ont développé de nouvelles technologies pour limiter les dégâts en cas de marée noire. En quelques années, l’océan a «cicatrisé». Quelle incroyable chance d’avoir de ce privilège de pouvoir apprendre et nous améliorer.

Pourtant deux ans plus tard, au large de la Galice, le naufrage du "Prestige" démontrait que nous n’avions pas suffisamment appris. En moi ça a cassé une certaine naïveté, la confiance dans une certaine forme de progrès.

Erika m’a fait comprendre que l’enjeu du 21e siècle serait de réinventer le fonctionnement de l’espèce humaine pour qu’elle s’intègre à son écosystème. J’ai mis un moment à admettre que je pouvais y contribuer personnellement et à comprendre comment.

On me dit souvent que je vois les choses à l’envers.

C’est pour moi une évidence que l’économie peut et doit soigner et restaurer l'environnement.

C’est pour moi une évidence que des systèmes pérennes, basés sur le renouvellement des ressources offrent des marges et une durabilité beaucoup plus intéressantes que l’économie «traditionnelle». Si c'est l'argent qui vous motive, c'est là qu'il se trouve. 

Alors plutôt que de me fâcher contre l’argent, le capitalisme, je préfère l’utiliser. Après tout c'est un outil, pas une fatalité.
Rétablir l’individu au sein de la société, lui faire prendre conscience de son pouvoir, lui apprendre à utiliser l’outil argent pour autre chose que nourrir son égo ou chercher à se rassurer et avec constance, régénérer, restaurer.

Se distancer des entreprises qui n’ont plus de valeurs et qui courent, comme des poulets sans tête, d’un profit à un autre.

Rassembler, établir des individus conscients, responsables pour qu’ils puissent prendre les commandes vers un avenir plus serein, plus simple, qui sera un réceptacle sain pour les milliers d’innovations engagées par les nouvelles technologies.

Expérimenter au quotidien (des lombrics aux poules domestiques en passant par l'association de quartier) pour se rapprocher de ce qui contribuera à cette régénération de nous-mêmes, de nos communautés.

J’ai gardé une grande foi dans le progrès. Je suis grisée et fière de vivre à notre époque. Nous sommes les témoins et les acteurs de mouvements de fond d’une incroyable puissance. L’être humain, en tant qu’espèce animale, a le potentiel de devenir une formidable opportunité d’évolution pour la planète. Entre l’opportunité et le désastre, je mesure à peine quelques grammes… de conscience.

 

Pour en savoir plus sur la manière dont j'applique joyeusement les principes de la permaculture à l'entrepreneuriat, je vous invite à découvrir cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=BB-zOIE4XT4&t=3s

 

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