Intégrer plutôt que séparer: huitième principe de la permaculture.

principes permaculture Jun 01, 2018

La permaculture fait partie d'une cohorte de concepts qui valorisent les relations réciproques et symbiotiques face aux relations concurrentielles et prédatrices. Elle préfère préférer que se séparer. Cette posture nous invite à revisiter notre manière d'aborder une gestion de projet, nos relations de travail, notre place dans la société (entre autres) dans une perspective d'intégration heureuse. 

Le syndrome de la boite de Pétri

Nous devons la plupart des progrès du dernier siècle aux avancées de la science. Des scientifiques ont mis en place des processus, des méthodologies d'analyse pour comprendre isolément des sujets à respecter. La recherche de maîtrise des conditions d'observation visait la compréhension exhaustive d'un système, indépendamment de tout autre facteur d'influence.

Cette approche avait pu simplifier les choses mais ces dernières s’obstinaient à rester complexes. C’est devenu particulièrement flagrant quand la physique quantique a démontré que la seule attention de l’observateur influençait le phénomène observé.

Néanmoins, découper le monde en petits morceaux et l’isoler dans des boites de Pétri pour le comprendre a été notre principal levier de progrès scientifiques ces dernières décennies.
Nous en avons hérité une compréhension du monde en « puzzle », avec des fonctionnalités bien comprises mais sources d’une complexité étourdissante lorsqu’on les intègre les unes aux autres.

Face à cette simplification artificielle des boites de Pétri, la tentation est grande de retourner le microscope et d’en faire une lunette astronomique pour saisir d’autres dimensions, globales, intégratives et tout aussi réelles. « Intégrer plutôt que séparer » est un des grands champs d’exploration possibles de la science aujourd’hui.

L’héritage de Charles Darwin

Dans la lignée des grands séparatistes, Darwin y a mis son grain de sel et pas qu’avec le dos de la cuillère. « La loi du plus fort » était dans l’air du temps. Toute révolutionnaire et choquante qu’elle soit, elle était facile à comprendre. Cette approche était rassurante car porteuse d’un gros potentiel de simplification. Le marketing scientifique existe bien. Bien que dérangeant (pas facile de passer du statut de création divine à celui de descendant du singe), l’argumentaire de Darwin répondait à des préoccupations de simplification. La tendance s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui plusieurs études constatent que le Darwinisme est à l’origine d’une certaine approche du capitalisme.

Récemment, des passionnés se sont plongés dans les archives de la science et ont redécouvert l’oeuvre de  Pierre Kropotkine, un personnage haut en couleurs. Héritier répudié de lointaines contrées russes, il a ressassé toute sa vie  le même scénario : l’entraide soutient toute forme de développement. Mais n’ayant ni les moyens de le communiquer ni le profil académique rassurant de Darwin, il est mort oublié et déchu, clamant sa vérité jusqu’au bord de la tombe.

Cet oublié de l’histoire est redécouvert dans l’ouvrage « L’entraide, l’autre loi de la jungle » de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle.

Certes, l’entraide ce n’est pas facile à « vendre » car elle augmente la complexité, les ramifications, les excroissances spontanées. Et pourtant, force est de constater que la plupart des chaînes biologiques reposent au moins autant sur l’entraide que sur la concurrence.

La nature intègre tout autant qu’elle sépare.

Intégrer plutôt que séparer : conception d’une guilde en permaculture

La permaculture elle aussi, aborde la complexité. Elle met l’accent sur les relations mutuelles et symbiotiques, plutôt que sur les relations concurrentielles et prédatrices.

Dans le modèle de Guilde, on cherche à favoriser les collaborations croisées en argumentant que « le but d’un système fonctionnel et autorégulé est d’agencer les éléments de façon à ce que chacun d’entre eux réponde aux besoins et utilise les produits des autres éléments ».

C’est joli sur le papier. Dans la pratique, on assiste assez rapidement à la naissance d’un espace de création abstrait et imprévisible. L’un des fondements de ce joyeux chaos, c’est que les connections entre les éléments sont aussi importantes que les éléments eux-mêmes. Le rôle du permaculteur est alors d’élaborer des méthodes de conception des communautés végétales, animales et humaines pour tirer parti de ces relations.

On peut imaginer un désarroi légitime après des siècles de « boites de Pétri ». Nous avons étudié les éléments mais jamais les relations. Au-delà d’une démarche de conception intentionnelle, il faut s’attendre à ce que des relations écologiques et sociales réelles se développent grâce à des mécanismes d’auto-organisation et de croissance.

L’esprit n’ayant pas la capacité d’embrasser la globalité, il faut « lâcher prise », laisser se créer un espace de spontanéité. Une posture humble qui n’est pas au goût de tous.

Le tout est plus que la somme des parties

A l’ère des garanties, du contrôle et de la sécurité savamment marketés, ouvrir des espaces d’incertitude relève de l’intrépidité. Et pourtant. A bien y regarder, il faut reconnaître que nous n’avons jamais contrôlé grand-chose. Alors pourquoi ne pas accueillir la part d’imprévisible portée par la posture d' »intégrer plutôt que séparer » en admettant qu’ on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise.

La capacité du concepteur à créer des systèmes étroitement intégrés dépendra de sa vision d’ensemble du puzzle d’interconnections qui caractérise les communautés écologiques et sociales. C’est valable dans un jardin, entre espèces animales et végétales. C’est aussi valable dans une ville, une communauté, un pays. Quelles synergies inattendues naîtraient si on prenait soin d' »intégrer plutôt que séparer » les femmes, les minorités culturelles, les personnes âgées, les enfants, les personnes en situation de handicap ? Et si on regardait nos lieux de vie en cherchant à intégrer plutôt que séparer ? Si on travaillait depuis chez nous ? Si on jardinait au bureau ?

Le cadeau derrière l’audace

Un design permaculturel agence les éléments végétaux, animaux, topographiques et les infrastructures en recherchant le meilleur niveau possible d’intégration et d’autorégulation. En retour, le système requiert peu d’interventions correctives de la part du jardinier. Chaque élément remplit plusieurs fonctions. Chaque fonction est remplie par plusieurs éléments. La résilience du concept est posée en intention. Des chaines d’interactions et des cycles se mettent en place. Finalement, au-delà des récoltes, on a aussi régénéré les sols, créé de l’ombre, soutenu la biodiversité, limité les interventions de désherbage, etc. Avoir l’audace de « laisser faire » implique une posture de confiance a priori dans ce qui va émerger. L’improbable pelote de relations entre les éléments élabore souvent un cadeau : un système très autonome qui requiert peu de TRAVAIL.

La triangulation des fonctionnalités est une transposition très utile dans le monde de l’entreprise. Si la perspective d’avoir moins de TRAVAIL de gestion à faire vous effraie, songez à la quantité de systèmes qui doivent être repensés pour devenir régénératifs. La conversion des systèmes existants a de quoi nous occuper pour quelques générations. Et d’ailleurs, si on essayait de regarder le travail autrement ? D’intégrer plutôt que séparer le travail de nos vies ?

Un avenir romantique

Nous sommes au bout de ce que nos tentatives de contrôle peuvent élaborer. Puisque nous avons épuisé les ressources naturelles au point de craindre pour notre avenir, la perspective d’autres pratiques se présente comme une opportunité qu’intellectuellement, il serait injustifié de négliger. Intégrer plutôt que séparer est une piste rafraîchissante. Le déclin de l’énergie disponible va peu à peu modifier la perception générale de ce précepte. Si la permaculture véhicule aujourd’hui une image bucolique et romantique, nous verrons bientôt une nécessité pratique. Indubitablement, les relations coopératives et symbiotiques gagneront en pertinence dans un futur proche.

 

Pour découvrir les autres principes de la permaculture, parcourez les articles suivants :

Principe 1: Observer et interagir

Principe 2: Collecter et stocker l’énergie

Principe 3 : Créer une production

Principe 4 : Appliquer l'auto-régulation et accepter la réaction

Principe 5 : Utiliser et valoriser les services et les ressources renouvelables

Principe 6 : Cycler les déchets

Principe 7 : Partir des structures d'ensemble pour en arriver aux détails

Principe 8 : Intégrer plutôt que séparer

Principe 9 : Utiliser des solutions à des petites échelles et avec patience.

Principe 10 : Utiliser et valoriser la diversité

Principe 11 : Utiliser les interfaces et valoriser les bordures

Principe 12 : Utiliser le changement et y réagir de manière créative.

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