Quelle est ta manifestation ?

opinion Jan 18, 2020

A l’heure où Lausanne est le théâtre de manifestations en faveur du climat, mes réflexions portent sur ce mode d’expression, sa pertinence et ses variantes.

 

 

Manifestations en Suisse et à Lausanne.  

Je vis depuis 22 ans en Suisse et en moins d’une année, j’ai vu naître et se dérouler plus de manifestations que depuis mon arrivée.
L’affaire n’est pas simple car le droit de grève n’existe pas en Suisse. D’après ce que j’ai compris, techniquement, un employeur serait même autorisé à licencier un.e gréviste. Certain.e.s posent donc un jour de vacances pour pouvoir manifester.

 

Il y a un an jour pour jour, avait lieu la première manifestation pour le climat. Puis le 14 juin 2019 a eu lieu la grève des femmes qui a réuni un demi-million de personnes (Ça parait peu vu depuis la France mais dans un pays de 8,5 millions d’habitants, c’est incontournable).
Depuis lors, de loin en loin, des activistes organisés viennent pacifiquement occuper des lieux stratégiques pour alarmer les politiques sur la thématique du climat. De ce que j’ai pu observer, les policiers les délogent patiemment et respectueusement.

 

Juridiquement les choses bougent également. Il y a 4 jours, 12 activistes condamnés pour avoir occupé sans autorisation les locaux d’une banque ont été innocentés par un tribunal. Cette décision historique (qui suscite naturellement énormément de vagues de contestation) signe qu’un juge a considéré que la désobéissance civile se justifiait au vu de l’urgence climatique.

 

Hier, une nouvelle manifestation s’est déroulée à Lausanne, à l’initiative d’une grand-maman de 73 ans et pour fêter le premier anniversaire de l’activisme climatique en Suisse. Greta Thunberg y était présente. 10’000 personnes se sont rassemblées, concluant la manifestation par une minute de silence pour les victimes des incendies australiens.

Ma petite histoire personnelle vis-à-vis des manifestations.

En tant que française, la grève et ses manifestations est un phénomène familier (sic). Traditionnellement, depuis le lycée, dès que les beaux jours arrivaient grèves et manifestations déployaient leurs couleurs comme des tulipes. Le mois de mai était particulièrement propice. Je me demande parfois si la finalité des fériés du mois de mai en France n’est pas de déliter les velléités syndicalistes à coups de week-ends prolongés. 😉

Avec le recul, je dois bien reconnaître que j’ai rarement su pourquoi je manifestais (éventuellement contre un ministre peu charismatique, l’augmentation de la CSG, ou la « menace » sur les retraites de nos profs avec qui nous nous sentions tout à coup solidaires).
C’était bon enfant. Une marche au soleil. Un sas ouvert à des rencontres transgénérationnelles. Des discussions plus ouvertes. C’était presque un rite initiatique « Tu es lycéenne maintenant, tu as le droit de t’exprimer ».
Mon souvenir donne raison à ceux qui expriment l’opinion que la grève est inutile et que c’est un tremplin à l’école buissonnière. Honnêtement, il y avait de cela.

 

Entretemps, j’ai progressivement développé une aversion à la foule. Alors non, je n’étais malheureusement pas dans les rangs de la manifestation d’hier, malgré ma profonde sympathie pour la thématique.

J’ai néanmoins croisé le défilé et j’en ai eu les larmes aux yeux.

Des enfants, des ados, des jeunes adultes, une association de médecins, une autre d’enseignants, des retraités, mes voisins. J’avais lu que c’était surtout une manifestation de jeunes mais ce n’est pas ce que j’ai vu.
Il y avait des chants, les ambiances bon-enfant dont j’avais le souvenir mais les choses allaient bien au-delà. La contestation était claire et comprise par tous. Il y avait de la cohérence. J’ai lu des pancartes remerciant le juge pour sa décision.

Et il y avait aussi de la colère. De la colère de jeunes pleins de fougue, de la colère de vieux pleins de sagesse, de la colère de « lettrés », de personnes qui préfèrent habituellement des moyens d’expression plus discrets. Une vraie grosse colère sociétale.

J’ai ressenti la même force lors de la grève des femmes (que j’avais aussi croisée). L’appel impérieux au changement.

J’ai observé des banquiers, en marge du défilé qui toisaient la foule, se moquant des pancartes et des slogans. Ils étaient trois, fats, surfaits et imbus d’eux-mêmes, bien habillés, rasés de frais, usant de cynisme pour se renforcer. Parmi les trois, il y en a un qui, comme moi, a ressenti le changement de fond. Il y en a un qui a vu le ridicule non plus dans la foule mais dans sa propre posture. Hier, un de ces trois banquiers a profondément changé.

 

Pourquoi c’est important de manifester ?

La langue française est d’une richesse exceptionnelle et il me semble que plus les sujets sont délicats, plus elle est subtile et nous ouvre d’autres voies.

Que signifie manifester ? Ce verbe transitif venu du latin manifestare qui signifie « montrer ».

Le premier sens, c’est l’expression. Manifester sa volonté, son opinion, son désir. Cela passe souvent par la parole.

Puis lorsque les mots ne suffisent plus, on montre, on rend perceptible, on fait connaître le sentiment, la manière d’être, l’état. À l’échelle d’un individu, une pâleur manifeste un état de faiblesse, à l’échelle d’une société, une grève est la manifestation d’un désaccord.

Il reste une dernière nuance, qui me correspond plus, celle qui définit le mot « manifester » par « faire preuve ». On dit « manifester son courage », « manifester ses aptitudes ».

 

Pour ma part, j’entends « faire preuve » que l’économie peut servir le vivant. Qu’en appliquant les principes de la permaculture, on peut créer des entreprises qui régénèrent la planète et ses habitants.

 

C’est une manière de transformer la colère. C’est une manifestation de ma profonde et sereine désapprobation de la manière dont nous nous sommes accoutumés à mener notre économie.

 

À mes yeux toutes les formes de manifestations sont utiles. Certains pensent que les défilés ne servent à rien mais je ne suis pas de cet avis. Il s’y joue le sens du collectif, il s’y joue des prises de conscience comme celle du banquier. À chaque défilé, un passant, un prof devant sa classe vide, un responsable RH qui constate 50 demandes de jour de congé, va se questionner différemment, changer de posture. Même si les politiques ne réagissent pas ou pas assez vite, ces rassemblements ont des effets parce qu’ils questionnent, ils sèment des prises de conscience.

 

On reconnait les changements majeurs aux réactions qu’ils suscitent. D’abord ils sont considérés comme ridicules puis comme menaçants avant de devenir évidents. C’est une grille de lecture que je trouve intéressante.

 

Et toi ? Comment est-ce que tu manifestes ?

 

Il y avait 10’000 personnes dans les rues de Lausanne hier.

… Et il y a aussi tous ceux qui n’y étaient pas et qui manifestent, qui rendent réelle, leur prise de conscience.

 

Chaque passage à l’action, chaque changement, si minime soit-il, est une manifestation.

 

Certain.e.s passent au zéro déchet, d’autres renoncent à la viande, choisissent les transports en commun, font pipi sous la douche (!)… Les manières d’agir sont multiples. Nous allons devoir changer, beaucoup, vite. Nous nous dirigeons vers une permanence du changement. Autant apprendre la souplesse le plus vite possible.

 

Et parmi ceux qui changent, il y a des entrepreneur.e.s. du changement. Certain.e.s recyclent des déchets, d’autres soignent naturellement ce qui peut l’être, d’autres encore diminuent le gaspillage, inventent de nouvelles manières de créer de l’énergie, de se nourrir, imaginent de nouvelles matières compostables, certains diffusent ces idées, d’autres les améliorent, etc.

Ils sont loin de l’image « classique » des entrepreneurs âpres au gain et prompts à contribuer au délitement de la planète pour autant qu’il en nourrisse des chiffres.

 

Chacun.e de ces entrepreneur.e.s du changement a un jour décidé de « manifester »sans pour autant défiler. De faire preuve, à travers un projet qui conjugue ses convictions et son savoir-faire, de son voeu d’un avenir différent pour lui, pour ses proches, pour la planète.

Chacun.e de ces entrepreneur.e.s a eu peur d’échouer, s’est demandé ce qu’on allait penser de lui.elle, s’est trouvé lui-même un peu fou. Mais il a dépassé sa peur et posé un premier acte.

 

Pour certain.e.s, ce premier acte a été de participer au programme d’accompagnement d’entrepreneuriat durable Let it Be et je suis très honorée que ma propre manifestation soit de les mener vers un projet durable pour eux et pour la planète.

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